Je le répète encore, mais vous savez combien je suis sensible à l’accessibilité numérique.
Au mois de juin dernier, j’ai assisté à la journée de conférence sur l’accessibilité numérique qui s’est déroulée à Paris.
J’ai revu plusieurs personnes que j’ai connues à Paris Web, dont Sophie Drouvroy. Je lui ai demandé si elle voulait bien témoigner sur son expérience sur le web, en tant que personne sourde, et je suis contente qu’elle ait accepté de répondre à mes questions. J’espère que son témoignage sera sensibilisant sur le thème de l’accessibilité numérique.
Grâce à son témoignage, Sophie va nous permettre de mieux comprendre les besoins spécifiques des personnes sourdes sur le Web, les freins actuels, et les bonnes pratiques à mettre en œuvre pour un Internet plus inclusif.
Sophie, présente-toi.
Je m’appelle Sophie Drouvroy. Je suis consultante experte en accessibilité numérique depuis plus de 10 ans, intégratrice front-end de cœur de métier. Je suis sourde de naissance, appareillée très tôt et bi-implantée depuis bientôt 10 ans.
J’ai fondé ma société So accessible en 2024 pour accompagner les entreprises dans leur démarche d’accessibilité numérique.
Pour en revenir à mon handicap, bien souvent, les gens pensent que je comprends tout ce que j’entends. Mes implants cochléaires sont un véritable support à ma compréhension que j’ai quand je fais de la lecture labiale principalement.
Peux-tu me parler de ton expérience générale sur le web ?
Le minitel était mon outil principal de communication et surtout un moyen très cher. J’ai commencé à utiliser internet en 1997. C’était génial de pouvoir communiquer avec autant de personnes à peu de “frais”. J’ai commencé avec IRC, ensuite ICQ, MSN ainsi que tous les outils qui finalement ont évolué pour ce qu’ils sont aujourd’hui. Au départ, je ne pensais pas que cela aurait un impact aussi grand dans ma vie. J’ai vu l’évolution de cet outil qui finalement a changé ma vie.
Quelles sont les difficultés les plus fréquentes que tu rencontres lors de ta navigation en ligne ?
En tant que personne sourde, je rencontre souvent des difficultés avec les contenus audio et vidéos non sous-titrés. Les webinaires, les formations en ligne et les podcasts ainsi que les contenus vidéos restent fréquemment inaccessibles.
Quand la vidéo est arrivée sur internet, l’accès à ces contenus était difficile en raison du manque de moyens techniques et logiciels. Initialement, les vidéos n’étaient pas sous-titrées ; cette fonctionnalité est apparue par la suite, mais le web n’est toujours pas entièrement accessible.
Par la suite, l’arrivée de l’audio avec les émissions radio et les podcasts a aussi posé problème, car il n’y avait pas de transcriptions écrites. Cela commence à évoluer aujourd’hui, mais c’est encore très timide.
Il m’est difficile de m’adapter aux nouveautés et de les intégrer à mes habitudes. Les podcasts, par exemple, ne me sont pas naturels, parce que j’ai toujours privilégié l’écrit. Il me semble étrange de devoir lire un contenu qui a été initialement conçu pour être écouté.
Ce qui reste difficile aujourd’hui, c’est le sous-titrage qui est détourné à des fins marketing ou stratégiques pour capter l’attention des utilisateurs. Il est difficile de regarder des vidéos qui popent dans tous les sens, dans toutes les couleurs. Les gens ne comprennent pas la difficulté de regarder une vidéo avec des sous-titres qui popent dans tous les sens, ce qui est mon cas, car même si je suis appareillée, je ne comprends pas ce que j’entends. Le son que je perçois est une béquille pour mon cerveau, mais rien de plus.
J’ai toujours une réticence à aller à des webinaires, parce que le sous-titrage automatique qui existe sur certaines plateformes, n’est pas parfait. Je dois tout de même faire de la suppléance mentale pour être certaine que j’ai bien compris les échanges malgré la présence du sous-titrage automatique.
Y a-t-il des sites ou services que tu trouves particulièrement accessibles ? Pourquoi ?
En réfléchissant, je n’ai pas de problèmes particuliers pour naviguer puisque ce sont principalement les contenus audios qui me posent problème.
La musique tactile d’Apple est terriblement efficace, elle permet de percevoir la musique par le biais de vibrations.
Utilises-tu régulièrement des outils ou technologies d’assistance ? Lesquels ?
Oui, j’ai un prestataire que je sollicite quotidiennement pour mes réunions, visios, appels téléphoniques. Sinon, j’utilise beaucoup les outils “accessibilité” d’Apple et Chrome qui ont un sous-titrage automatique sur tous les médias audios.
Est-ce que les réseaux sociaux te semblent accessibles ? Lesquels posent problème ?
Les contenus vidéo sans sous-titres sont très répandus, notamment sur Instagram, TikTok et Facebook. Twitter/X et Mastodon sont plus accessibles, car ils sont essentiellement textuels.
Le problème principal reste les stories, les lives et les contenus audio spontanés qui ne bénéficient pas de sous-titrage. Les plateformes commencent à proposer des sous-titres automatiques, mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.
Quel message voudrais-tu transmettre aux professionnels du web ?
Je constate tous les jours, en 2025, que l’accessibilité n’est pas encore connue des équipes qui mettent en place des outils numériques.
Dans ce virage numérique, n’oubliez pas l’accessibilité ! Les personnes aveugles et malvoyantes, n’accèdent pas forcément à votre gestion de cookies pour respecter le RGPD. Les personnes sourdes et malentendantes n’accèdent pas à vos podcasts, vidéos, webinaires, formations.
Quand vous préparez des formations et que vous les proposez à votre public, pensez à les rendre accessibles ! Envisagez la possibilité de pouvoir accompagner la personne en situation de handicap pour qu’elle puisse être tout aussi compétente que n’importe qui.
Savez-vous qu’à cause de ces nouveaux sujets, vous laissez des personnes au bord de la route ?
As-tu quelque chose à ajouter ?
Ma surdité me permet d’avoir un regard différent, car il fait partie de moi, de mon quotidien. Il m’a rendue plus attentive à la prise en compte des besoins de chaque individu, qu’il soit handicapé ou non.
L’accessibilité numérique est universelle, elle profite aux personnes handicapées, mais aussi à tout le monde. Internet était censé être un lieu universel, et nous avons tous un rôle à jouer pour que cette promesse devienne réalité.
Je veux continuer à contribuer à rendre un web plus humain et accessible à ma façon, en accompagnant avec pédagogie et humour, en montrant que l’accessibilité peut être bien plus qu’on le croit : utile pour tous et toutes.
Ce témoignage nous rappelle que l’accessibilité du Web ne peut plus être considérée comme une option, mais bien comme une nécessité. Pour les personnes sourdes de naissance, comme pour d’autres publics en situation de handicap, chaque amélioration en matière d’ergonomie, de sous-titrage, ou de clarté visuelle peut faire toute la différence dans l’accès à l’information, à la culture et à l’autonomie numérique.
Je tiens à remercier sincèrement Sophie, dont je vous invite à lire le blog, d’avoir accepté de répondre à mes questions. Son vécu précieux nous éclaire sur les obstacles encore trop présents – mais aussi sur les pistes d’un Web plus inclusif pour toutes et tous.
Dans un prochain article, Sylvie Duchateau, aveugle de naissance, répondra aux mêmes questions.











